Dune et Forêt

L’emplacement du nouveau belvédère est situé dans un lieu assez méconnu de la population de la presqu’île guérandaise. Le point haut de cette remarquable dune de sable culmine à 56 mètres.
Ainsi, après l’impressionnante dune du Pilat (107 mètres de haut), la dune d’Escoublac se place au second rang des dunes de France.
Elle nous offre ainsi une magnifique plateforme pour construire une « coiffe» d’environ 25 mètres de hauteur et disposer d’un point de vue incomparable sur la baie, les marais salants, la ville de Saint Nazaire mais aussi la Brière, visible au-delà d’un plateau guérandais dont l’altitude ne dépasse pas 50 mètres.
Montons dans le belvédère. En dessous de nous, vers l’océan, se déroule un dense tapis végétal qui s’étend de la dune à la baie, avec, comme points d’amer dans cet océan de verdure, les immeubles du front de mer qui parviennent à émerger de cette ondoyante couverture verte. Magie des grands arbres qui soustraient à notre regard les constructions humaines plus modestes, et permettent ainsi d’apprécier un espace densément arboré…
La dune, la végétation sont des composantes immuables du paysage baulois, et l’un des attraits du belvédère vient du fait que l’on peut s’appuyer sur celle-là pour contempler celle-ci.

Mais si l’on remonte dans le temps, on apprend qu’il n’en a pas toujours été ainsi, loin s’en faut. La forêt, mais aussi la dune, n’ont pas toujours fait partie du paysage, et on peut même ajouter que c’est la formation de la dune qui a largement contribué au développement volontariste d’un couvert végétal.
La côte au temps des Romains
Veni, vidi, vici disait-il. En Armorique comme ailleurs, Jules César et ses légions défirent ceux qui tentèrent de leur résister. En 56 avant JC, la côte d’Amour avait un tracé bien différent d’aujourd’hui : Le Croisic, Batz étaient des îles, et le niveau de la mer, plus haut qu’aujourd’hui, recouvrait l’ensemble de la commune actuelle de La Baule, jusqu’au pied du plateau guérandais.
Dans le Livre III de « la Guerre des Gaules », Jules César nous propose une vision assez précise de la côte sud de la Bretagne : « les places de la régionétaient en général situées à l’extrémité de langues de terre et de promontoires, en sorte qu’on ne pouvait y accéder à pied, quand la mer était haute, ce qui se produit régulièrement toutes les douze heures, et qu’elles n’étaient pas plus accessibles aux navires, car à marée basse ils se seraient échoués sur les bas-fonds ».
Retranchés dans les forteresses naturelles de ce rivage particulièrement découpé, les Vénètes s’y croyaient sans doute à l’abri, mais la destruction de leur flotte par les galères romaines coupa toute possibilité de retraite par la mer. A l’emplacement du bois des Aulnes, il n’y avait encore que les poissons et les crabes pour assister à la défaite des orgueilleux Vénètes et leur déportation en esclavage.
Malheur aux vaincus…Dans l’Antiquité, cette cruelle maxime était bien souvent d’actualité.
La formation de la baie et des marais salants au Haut Moyen-Age
Un colmatage entre les îles précitées et le plateau guérandais s’effectue peu à peu pendant les siècles suivants, et donne naissance à deux marais salants : celui de l’ouest, véritable pays blanc ou Gwen rann, d’où la ville voisine tire son nom, et celui plus modeste de Pornichet, qui ferme la lagune à l’est.

Les implantations humaines au Moyen-Age
Quelques siècles encore, et en 1050, des moines bénédictins de l’abbaye de Marmoutier édifient un prieuré à la limite du plateau guérandais. D’après la tradition, un premier village d’Escoublac se serait développé en contrebas de la falaise de sable. Le terme de falaise, qui revient si souvent dans les anciens écrits, traduit très probablement un dénivelé plus abrupt qu’aujourd’hui, entre le plateau guérandais et la baie. Ce premier village aurait connu une prospérité toute relative, jusqu’à son ensevelissement au XIVème siècle par des sables de plus en plus envahissants. Un premier repli vers un lieu plus éloigné du front de mer se serait produit. Après la disparition de ce premier village hypothétique, nos connaissances sont plus assurées : un nouveau village est édifié et connu aujourd’hui sous le nom de Vieil Escoublac, par opposition au village actuel (voir plus loin).
Un second repli au XVIIIème siècle.
Mais le répit est de courte durée, et la progression des sables rattrape inexorablement le nouveau village : en 1598, les moines d’Escoublac révèlent déjà que leur vénérable prieuré est de plus en plus menacé. Le Viel Escoublac est logé à la même enseigne et les événements prennent une tournure dramatique à partir de 1753 : le journal tenu par le Général de Paroisse, assemblée restreinte qui regroupe près d’une vingtaine d’hommes du village, rend compte du combat désespéré des habitants pour tenter d’endiguer la progression des sables : « les habitants de la paroisse sont continuellement occupés à écarter les sables qui assiègent l’église et l’ont déjà presqu’engloutie par les prompts progrès qu’ils ont fait après la dernière grande tempête ».
Tel Sisyphe remontant son rocher, la communauté villageoise va s’épuiser pendant plus de trente ans pour tenter d’endiguer les assauts du sable. Mais la lutte est trop inégale, et sagement le comte de Sesmaisons, à qui appartient la terre, donne le signal d’un second repli en offrant à la paroisse un terrain où était situé l’ancien château d’Escoublac, afin d’y construire une nouvelle église et de réédifier un presbytère.
Le dimanche 4 juin 1786, la nouvelle église d’Escoublac est bénie par Jean-Baptiste Daudigne, chanoine et grand chantre de l’église royale collégiale de Guérande. Dans un monde aussi imprégné de religiosité que celui de l’Ancien Régime, cette bénédiction est vécue comme une véritable rupture par les modestes habitants du village : désormais, le lieu de culte consacré, celui autour duquel s’organise toute la vie des paroissiens, c’est l’église de ce « nouvel Escoublac » dans laquelle vont se retrouver les ouailles d’une ancienne église qui disparaît peu à peu sous un linceul de sable, et avec elle tout le vieux village. Demeurés seuls sur le champ de bataille, les sables opiniâtres peuvent continuer à s’accumuler, donnant ainsi naissance à cette « grande dune » dont le point haut culmine à plus de 50 mètres de hauteur.
Une économie de subsistance et une exploitation intensive du terroir.
Dans une France d’Ancien Régime essentiellement rurale, l’obsession première était de manger à sa faim, dans un système économique largement autarcique. La paroisse fournissait donc l’essentiel des ressources de ses habitants, pour le meilleur, et plus souvent le pire en cas de mauvaises récoltes. La belle, la riche, la distinguée station balnéaire qu’est La Baule aujourd’hui ne dérogeait pas à la règle ; et était même une des plus déshéritées du comté de Nantes. Qu’on y songe : ici, pas de terre bien grasse pour assurer de belles moissons, mais de méchantes landes sur lesquelles les habitants cultivaient péniblement du blé et un peu de vigne. La dureté de leurs conditions d’existence les conduisait à tenter d’améliorer l’ordinaire en allant couper des mottes de tourbe dans la Brière voisine, ce qui n’allait pas sans provoquer d’inévitables tensions, comme avec un certain monsieur de Saint Denac qui voulait enclore une partie du terrain de Saint-André, paroisse d’où les Escoublacais tiraient les mottes.

En cette année 1773, 20 ans après le premier témoignage du Général de Paroisse, la situation paraît tragique pour les habitants d’Escoublac : «tout le pays étant presque dépourvu de bois, la Brière est la seule ressource pour procurer des secours, surtout à cette paroisse dans laquelle les habitants ne sont pas nés riches et dont une grande partie du terrain est déjà envahie par les sables, ce qui nécessite d’aller dans la Brière y couper des mottes pour les vendre et par là trouver quelques secours à la vie… ».
Une telle description montre aussi à quel point le bois est rare à l’époque. Cet apparent paradoxe s’explique par la présence, sur les 700 hectares que constituent cette falaise de dune, d’un imposant troupeau de 1500 moutons dévorant systématiquement la moindre pousse qui aurait le désir de prospérer dans ce milieu. S’ajoute à cette destruction d’origine animale l’action de l’homme arrachant les plantes arénicoles pour en faire des balais. Sans plantes pour la fixer, la dune peut donc continuer à progresser vers l’intérieur, pour le plus grand malheur des habitants qui, voyant leurs terres se réduire, exploitent encore plus ce qui leur reste, et accélèrent ainsi la dégradation de leur environnement et le déplacement des sables.
Si le système était probablement en équilibre précaire au cours des siècles précédents, la croissance démographique que l’on observe au XVIIIème siècle constitue sans doute un élément de fragilisation.

Un épisode de vents violents et fréquents à la fin du XVIIIème siècle ?
Facteur naturel aggravant, la fréquence des périodes venteuses et sèches dans la seconde moitié du siècle a vraisemblablement provoqué le déséquilibre qui conduit à cette spirale de la désertification végétale et de l’ensevelissement par les sables. Le cas d’Escoublac n’est d’ailleurs pas isolé : si on élargit le champ d’étude, on constate que c’est aussi à la même époque (en 1777) que le village de Soulac, dans les Landes, est enseveli sous les dunes, et que dans les Flandres, Zuydcoote subit un sort identique.
Un environnement stérile, déserté par les hommes
Grandement échaudés par ces événements, les Escoublacais vont désormais se détourner de ce paysage de bôles qui parsèment la baie, et se concentrer sur les activités agricoles d’un plateau plus accueillant. Les seuls qui continuent à parcourir furtivement ces monticules de sable désertés sont alors les faux-sauniers, bientôt réduits à l’inactivité par la suppression de la gabelle. En 1828, voici le portrait que dresse Gustave de Grandpré de ces 700 hectares de dunes mouvantes, bornées par des marais salants : « aucune trace, aucun sentier n’indique la route, seulement des pas d’hommes, empreintes sur le sable dans toutes les directions, annoncent que le désert est fréquenté. Autour de moi rien qu’un affreux désert. Des dunes entassées les unes sur les autres s’allongent à perte de vue. Rien n’interrompt leur désespérante uniformité ».
Le reboisement déclaré cause nationale
L’Etat français prend alors conscience du travail à accomplir pour stopper la progression inéluctable des sables, et la désertification qui en résulte, dans les départements maritimes. Dès 1810, sous le Premier Empire, un décret est signé, conseillant la fixation des dunes par la végétation. Poursuivis sous la Restauration, les réalisations pour regagner le terrain perdu dans la baie sont moins spectaculaires que dans les Landes, mais permettent ainsi la constitution du bois du Pouliguen dès les années 1818-1819.

Sur la dune, un effort contrarié par des intérêts divergents
De l’autre côté de l’étier, les travaux de fixation avancent beaucoup plus lentement du fait de l’opposition des habitants d’Escoublac à tout reboisement synonyme de privatisation d’un espace public. Le fait que celui qui se propose d’effectuer ces reboisements est le comte de Sesmaisons, fils de l’ancien maître jadis tout puissant, n’est peut-être pas étranger à cette opposition farouche de ceux qui craignent là une résurgence de l’Ancien Régime. De guerre lasse, le comte de Sesmaisons vend sa concession. Après être passée entre les mains de différents propriétaires, c’est à monsieur Berthault que revint le redoutable honneur, en 1845, de développer sur 560 hectares de dunes des plantations dont certains Escoubacais ne veulent toujours pas entendre parler. Mais le fait que le nouveau propriétaire soit un négociant nantais, donc totalement étranger à la période prérévolutionnaire, permet d’apaiser les tensions et de commencer enfin des plantations d’envergure.
Voici comment un voyageur allemand, Hermann Semming témoigne des travaux effectués en 1857 près du Vieil Escoublac : « devant moi, de tous côtés, rien que des monticules de sables gris et dépouillés, tout à coup, j’aperçus avec surprise un bois de pin d’un pied de haut tout nouvellement planté … ».
Vers 1860, lors du renouvellement de la concession, l’Etat enlève à la Société Berthault les dunes les plus hautes (qui deviendront bois de l’Etat) et cède en échange le Prémare. Les plantations peuvent continuer de plus belle.
Fin XIXème : la végétation revient en force
Dès 1869, le succès est évident : non seulement les dunes n’avancent plus, mais encore la végétation s’est considérablement diversifiée : à la végétation initiale composée de mousses, d’immortelles jaunes, de raisins de mer, de chardons, de gueules de loup et de petits liserons viennent s’ajouter des espèces très nombreuses dont la diversité fait aujourd’hui le charme de la station balnéaire : tamaris, acacia, chêne-liège, palmier, eucalyptus …Mieux : la végétation plus dense favorise désormais le développement d’un micro-climat toujours tonifiant, mais plus doux à l’intérieur de la station.

Un atout supplémentaire pour le tourisme
Bien exposée et relativement abritée, l’orientation si propice de la baie facilita la croissance de tous ces végétaux. La vilaine chenille était devenue une belle chrysalide. Ne manquait que l’arrivée du train pour que le papillon déploie ses ailes.
Le 11 mai 1879, la ligne de chemin de fer Saint-Nazaire – Le Croisic est ouverte au public. 100 ans après l’abandon du Vieil-Escoublac, le sable jadis fléau apportant ruine et misère va se transformer en un nouvel or jaune.
C’est « la ruée vers l’Ouest », et le début du développement extraordinaire d’une cité balnéaire de réputation internationale. C’est alors la construction des grandes villas, dans une ambiance « Belle Epoque » pour laquelle nous cultivons la nostalgie, mais qui restait le privilège de quelques nantis.
La Baule-les-Pins la bien nommée
C’est aussi, accompagnant ce développement urbain au cours du XXème siècle, la présence continue d’une végétation toujours aussi abondante et diversifiée à ce jour, et ce grâce à la volonté des municipalités successives qui ont eu l’intelligence de ne pas sacrifier la végétation sur l’hôtel de l’urbanisation.
La diversité des espèces locales, tant pour la faune que pour la flore, est un trésor qui ne demande qu’à se laisser découvrir, pour peu qu’on veuille bien y prêter attention.
Quelques précisions :
Le site du Vieil Escoublac est aisément accessible depuis le pont des Américains, et en gravissant la dune (itinéraire fléché). Parvenu sur les lieux, une croix érigée en 1951 marque l’emplacement du village.
Les fondations de l’église étaient encore visibles au début du siècle (beaucoup de pierres et de poutres avaient été réemployées dans la construction de la nouvelle église), mais les diverses municipalités n’ont jamais cherché à préserver ces vestiges du passé et aucun effort n’a été réalisé pour valoriser cet élément essentiel du patrimoine local.
Lors de l’Occupation, la construction de blockhaus allemands au dessus de diverses fondations a définitivement défiguré les lieux.
La forêt d’Escoublac appartenait à l’Etat depuis les années 1860 suite à un échange de terrains avec la société Berthault. Le 25 novembre 1920, c’est donc l’Etat, par le biais du service des Eaux et Forêts, qui rétrocéda à la commune une parcelle de 50 ares environ, pour y construire un belvédère (voir historique). Ce n’est qu’en 1969, sous la municipalité René Dubois, que la commune parvient à acquérir cette forêt domaniale, pour la somme de 400000 francs. Devenue forêt communale, elle prend le nom de forêt d’Escoublac à l’initiative d’Olivier Guichard, en 1975.
Bibliographie principale :


« Le tourisme à La baule et en presqu’île guérandaise de 1820 à nos jours «

J.B. Vighetti éditions des paludiers 44 500 La Baule 4 tomes édités de 1974 à 1978



Aucun commentaire: